Lorsqu’on décide d’apprendre une langue étrangère sous la tutelle d’un professeur, il n’est pas facile de savoir vers qui se tourner, tant l’offre est diverse.
Âge, sexe, formation, expérience, origine ethnique, localisation géographique ou prix, chaque prestataire possède en effet des caractéristiques uniques. Pourtant, parmi ces critères, il en est un qui retient particulièrement l’attention et s’avère parfois déterminant pour la sélection : le statut de locuteur natif de l’enseignant.
Penchons-nous d’abord sur ce supposé privilège avant d’étudier ce qui nous fait choisir un prof plus qu’un autre.
Deux portraits bien distincts
Si l’on en croit les idées reçues, le simple fait d’être « né » dans une langue et une culture spécifiques fait de tout locuteur natif un professeur en puissance.
Le locuteur natif disposerait d’un très large vocabulaire qu’il utiliserait de façon appropriée. Il ne commettrait pas d’erreur de grammaire et aurait une prononciation parfaite. Il serait capable de comprendre tous types de discours, quel que soit son registre, du plus formel au plus familier. Au travers de ses connaissances, comportements et valeurs, il formerait en plus un authentique prototype d’une culture différente.
C’est plus ou moins souvent comme cela qu’on s’imagine le locuteur natif. Et dans l’éventualité où il se lancerait dans l’enseignement de sa langue à l’étranger, on le qualifierait de « natif », faisant monter son prix sur le marché.

L’enseignant non natif quant à lui, n’a pas le luxe d’être un véritable ambassadeur de la langue cible (celle que l’on apprend). On détermine plutôt sa valeur à la hauteur de ses diplômes, son expérience, ou encore à sa familiarité avec les usages de la langue/culture cible, validée entre autres par un certain nombre d’années passées à l’étranger. Il ne dispose évidemment pas du même degré de maîtrise que le natif, mais son atout majeur réside dans le fait qu’il est capable d’expliquer.
En effet, contrairement à son homologue qui manie sa langue sans en connaître les règles de fonctionnement, lui, l’ayant étudié formellement, peut en faire ressortir les nuances. Il peut d’ailleurs le faire dans la langue de son élève s’ils partagent une origine linguistique commune, voire lui fournir des éléments de comparaison entre les grammaires ou les prononciations.
Cerise sur le gâteau, il a cartographié les passages délicats et les embûches du parcours d’apprentissage, s’y étant lui-même confronté par le passé. Il est ainsi bien plus à même de se représenter les tribulations de son étudiant et lui offrir son soutien dans les moments difficiles.
Le professeur natif, entre mythe et réalité
Le premier point concerne la formation du professeur natif.
Bien que ce ne soit pas systématiquement le cas, il faut garder en tête qu’un bon nombre d’entre eux exerce l’activité d’enseignant sans avoir obtenu de diplôme pour le faire.
En effet, lorsqu’on séjourne dans un pays étranger pour des raisons académiques, professionnelles ou touristiques, donner des cours constitue effectivement un bon moyen d’arrondir ses fins de mois, voire même de gagner sa vie. Et si il suffit d’être locuteur natif pour attirer des enthousiastes qui sont prêts à payer pour vos services, alors il n’y a pas de nécessité impérieuse de disposer d’une certification.
Cet opportunisme est possible pour les langues étrangères, car dans ce domaine, beaucoup d’apprenants voient comme facultative la nécessité de faire appel à un spécialiste dont les connaissances et savoir-faire ont été attestés par une formation professionnelle.
D’autre part, il ne faut pas oublier que la compétence linguistique dans notre langue maternelle se construit dans une large mesure en fonction de la nature et de la diversité des milieux socioculturels dans lesquels on a baigné depuis l’enfance.
Cela explique souvent les écarts de maîtrise entre locuteurs pour formuler des phrases complexes, organiser leurs discours, ou encore respecter les règles orthographiques. Il n’est donc pas surprenant de rencontrer des non-natifs plus performants à l’oral et à l’écrit que certains professeurs natifs.
Enfin, on considère communément le natif comme le mieux placé pour enseigner sa propre culture.
Sur ce point également, tout le monde n’a pas le même capital de connaissances et on peut à nouveau insister sur le rôle prépondérant de la fréquentation de milieux socioculturels riches et variés.
Par contre, pour ce qui est d’enseigner une culture, c’est principalement le fait d’y être identifié qui rend partie prenante et par conséquent peu capable de recul et d’objectivité.

Le meilleure enseignant n’est alors plus forcément le natif, mais comme nous le dit Michael Byram, celui « […] capable de faire saisir à ses élèves la relation entre leur propre culture et d’autres cultures, de susciter chez eux un intérêt et une curiosité pour l’altérité et de les amener à prendre conscience de la manière dont les autres peuples ou individus les perçoivent eux-mêmes et leur culture. »
Comment choisir son enseignant?
Évaluer la qualité d’un spécialiste sans en être un soi-même nous confronte à un problème de légitimité. La logique voudrait qu’on soit capable d’estimer une compétence qu’à la hauteur de celle que l’on possède soi-même sur le sujet. Un avocat n’a pas les instruments de mesure pour poser un verdict sur la valeur d’un médecin, seul un autre médecin peut éventuellement le faire.
Un apprenant de langue n’a donc pas forcément l’expertise nécessaire pour juger de la qualité du contenu et du dispositif d’enseignement proposé. Quant à établir un diagnostic sur la maîtrise linguistique de son professeur, il ne pas non plus logiquement le faire.
Il base donc son choix sur les informations qu’il a sous la main, comme une formation ou une expérience sur un CV et sur les impressions laissées par un podcast, une vidéo promotionnelle ou un site web.

On peut aussi s’en remettre complètement au « feeling », ou encore à une opinion extérieure.
Pour beaucoup, la notoriété sur les réseaux sociaux, chiffrée en nombre d’abonnés, constitue un gage de valeur suffisant. On peut aussi vouloir rechercher les retours d’autres apprenants, témoignages d’une expérience concrète et personnelle. Si on en a la possibilité, l’avis éclairé d’un autre professeur peut s’avérer précieux.
Ce n’est finalement que lors du premier cours qu’on peut se faire une idée tangible du professionnalisme de l’enseignant (ponctualité, organisation, implication…), ainsi que sur ses qualités humaines : patience, bienveillance, confiance en soi…
L’expérience concrète d’avoir la personne en face de soi, même si ce n’est que pour le temps d’un cours, est souvent suffisant pour fixer son choix.
Le moment du choix
Finalement, quelle que soit la source d’information dont on dispose, c’est avant tout sur la base de ses propres conceptions qu’on choisit son prof. La cause est attribuable au biais de confirmation, qui, le plus souvent sans que nous en soyons conscients, nous fait préférer les données de notre environnement qui valident notre vision du monde à celles qui la contredisent.

C’est ainsi que celui qui se représente les langues étrangères comme un objet d’étude au même titre que la géographie ou les maths, va naturellement se décider pour un spécialiste qui accorde un rôle prépondérant aux explications.
Tandis que celui pour qui un nouvel idiome s’acquiert par une pratique intense sans commentaires superflus va opter pour une configuration « communicative ».
Dans l’éventualité où le style d’enseignement du professeur ne correspondent pas aux attentes de l’apprenant, les compromis ont rarement leur place.
L’influence des croyances des uns et des autres conduit souvent à une vision arrêtée et des attitudes sans équivoque.
Pour en revenir à la question que pose l’article et conclure, il n’y a évidemment pas de réponse définitive. Comme en amour, mieux vaut une relation qui fonctionne malgré ses éventuelles limites, que la poursuite d’un idéal inatteignable. À partir du moment où les cours procurent des moments de plaisir et entretiennent la motivation, on peut se dire qu’on est dans la bonne direction !
