La vendetta, d’Honoré de Balzac

“La Vendetta” est une œuvre peu connue du jeune Balzac où converge la réalité historique de l’époque et la vie privée d’un cercle limité de personnes. “La Vendetta” s’inscrit dans le genre des romans historiques puisque les personnages réels de l’époque y sont présents : Bonaparte , Labédoyère, le duc de Feltre… En même temps c’est une œuvre littéraire, avec de la passion Shakespearienne et “vendetta”- la vengeance—est ce qui provoque l’intérêt des lecteurs. L’action se déroule à une période cruciale de l’histoire de France. Elle commence en 1800, sous le Consulat, et sa deuxième partie – le cœur – est située en 1815, après le second retour des Bourbons. 

Les fleurs du mal 

Le prologue décrit les événements qui ont lieu en 1800. Bartholomeo di Piombo, un Corse qui est une connaissance ancienne de Napoléon Bonaparte , arrive à obtenir une audience avec le consul , à qui il raconte son histoire. 

Di Piombo, un propriétaire foncier avait eu un conflit avec la famille des Porta. Malgré une réconciliation, les Porta attaquèrent perfidement sa maison en son absence en la mettant au feu et en tuant son fils. Pour se venger, et en suivant la coutume corse de la vendetta, di Piombo incendia la maison des Porta et les tua tous, du moins le croyait-il. 

Maintenant di Piombo et sa famille sont arrivés à Paris pour se réfugier où ils espèrent trouver grâce auprès de Bonaparte. 

Le consul accorde son aide à di Piombo, mais il exprime son opposition catégorique à la coutume de la vendetta – « Le préjugé de la Vendetta empêchera longtemps le règne des lois en Corse […]. – Il faut cependant le détruire – à tout prix ». Et enfin : « plus de Vendetta ! » , s’exclame-t-il.

Balzac donne-t-il un sens spécial à cette phrase ? Napoléon a-t-il ici le rôle d’un prophète? Peut-être elle contient déjà un avertissement pour Bartholomeo, un appel de rompre avec le passé pour éviter la tragédie ?

Grâce à Napoléon, Di Piombo obtient un service à Paris et s’y installe avec sa famille.  

Un ami de Labédoyère

La deuxième partie du roman commence en 1815, un mois après la défaite de Napoléon à Waterloo. Servin, un peintre connu , donne des cours de peinture à des demoiselles du milieu aristocratique dans son appartement à Paris. Ginevra di Piombo, la fille de Bartholomeo, est la plus douée d’entre elles.

Un atelier de peinture

La description balzacienne de l’ambiance qui règne à l’atelier de Servin est un reflet de la société parisienne. Ici comme à l’extérieur , la position politique d’une personne joue un rôle majeur : Ginevra, une adepte fervente de Napoléon comme ses parents, est ostracisée par les autres élèves dont les parents soutiennent les Bourbons. Ginevra est décrite comme une vraie Corse, c’est à dire une fille digne de son histoire familiale. ‘Sa démarche possédait un caractère de noblesse et de grâce qui commandait le respect…’ 

Un jour, Ginevra découvre par hasard que Servin cache dans son atelier un soldat proscrit, un ami de Labédoyère, dont elle tombe bientôt amoureuse. Ils réalisent qu’ils sont faits l’un pour l’autre. 

Un amour sans frontières 

Un soir, les parents de Ginevra attendent anxieusement le retour de leur fille, qui depuis deux semaines revient plus tard à la maison (car elle passe son temps chez Servin en parlant avec son amoureux, Louis ). C’est dans ce contexte du roman que Balzac nous fait découvrir la personnalité de Bartholomeo. Grave, noble et fier, il est « l’un des serviteurs de Napoléon qui a coopéré le plus efficacement au retour de l’île d’Elbe ». Pour lui, sa fille vaut toutes les richesses du monde. Balzac dit à propos de la relation de Ginevra et ses parents que ‘Ginevra vivait avec son père et sa mère sur le pied d’une égalité toujours funeste’, en supposant peut-être que ce caractère particulier de leur relation devint une des raisons de la tragédie. Balzac n’est pas le premier, d’ailleurs, à prononcer une phrase pareille. Évidemment, cette idée vient du passé ; mais dans un mélodrame écrit par l’ami le plus proche de Balzac, Le Poitevin de l’Egreville, on trouve une phrase semblable : « Malheur à l’enfant qui méconnaît la volonté de son père ». 

À l’arrivée de Ginevra, une conversation passionnée a lieu, au cours de laquelle Ginevra avoue la vérité et fait part de son intention d’épouser Louis. La réaction de Bartholomeo est instantanée : il ne veut pas entendre parler de ce projet et lance quelques phrases sarcastiques en blessant Ginevra. Elle ne cède pas et amène Louis chez ses parents un soir. Di Piombo, sceptique et maussade d’abord, semble admettre la possibilité d’accepter Louis, en voyant, en plus de tous les avantages du jeune homme, leurs positions politiques coïncider, mais la circonstance est malheureuse, Louis est le fils de son ancien ennemi, c’est l’enfant Luigi Porta qui par miracle survécut à l’incendie qui tua le reste de sa famille il y a 15 ans. Les parents de Ginevra, stupéfaits, quittent le salon dans un silence morne. 

Maintenant il n’est plus question pour Bartholomeo de céder. Sa fille n’epousera jamais son ennemi ! 

Ginevra décide d’accomplir son projet et d’épouser l’homme qu’elle aime. Elle convoque des notaires pour déclarer formellement son intention à son père, ce qui fait Bartholomeo, dont l’âme est en proie à des passions corses, à un extrême degré de la folie. Il n’a pas la force de faire du mal ou maudire sa fille , mais il l’abandonne, “elle n’a plus de père”. Désespérée, Ginevra croit quand même qu’elle n’a pas tort de choisir Louis qu’elle aime toujours aussi tendrement. 

Après avoir quitté le foyer paternel à jamais, Ginevra commence à apprendre ‘des chagrins que le monde sème autour de ceux qui ne suivent pas ses usages’

Le monde se tourne contre le jeune ménage, ce qui est manifeste notamment dans la scène de mariage : ‘Ginevra ne pouvait réfugier son regard que dans les yeux de Luigi, car tout était triste et froid autour d’elle’

La Vendetta

Au début, Ginevra et Louis vivent dans la félicité complète. Ils s’aiment à la folie, leur travail leur procure une vie modeste, mais heureuse. Leur amour les reconforte dans leur bannissement de la societe. En pensant à ses parents, Ginevra éprouve du chagrin , mais elle le cache à Louis. “L’histoire de leur vie peut se faire alors en trois mots : Ils étaient heureux.’

Cette partie de roman aborde de tournures de phrases démontrant ce bonheur complet du jeune ménage, il semble que nos protagonistes ont survécu toutes les crises et peuvent finalement se réjouir de la récompense. Mais la vie décide autrement. 

Au bout d’un certain temps, il devient de plus en plus difficile aux jeunes mariés de gagner leur vie. Balzac décrit 

d’une manière très émotionnelle et émouvante comment chacun des amants cherchait à ne pas laisser l’autre réaliser la détresse de leur état financier…

C’est extrêmement affligeant, car il est peu probable que leurs affaires aillent mieux et c’est si injuste !..

Puis, “l’événement qui met presque toujours le comble à la félicité des 135 ménages devait leur être funeste”

 Ginevra met au monde un garçon beau comme le jour, qu’elle nomme Bartholomeo…

Entre-temps, la situation devient insupportable, Louis et Ginevra manquent de nourriture. Un soir Louis réalise que sa femme se prive du dernier morceau de pain pour le lui donner . Il en perd presque la raison , il sort terrifié de la maison et erre dans les ténèbres , accablé par le sentiment d’impuissance, en espérant sauver Ginevra en s’offrant comme remplaçant pour le service militaire.

On lui donne un peu d’argent en gage, et il se précipite chez Ginevra… Lorsqu’il arrive, il trouve sa femme quasi folle, qui serre l’enfant mort dans ses bras. Ginevra commence à délirer, elle demande à Louis de donner sa chevelure à son père et lui dire qu’elle ne l’a jamais accusé. Ayant prononcé ces derniers mots, elle meurt. Les secours arrivent trop tard.

En ce moment, les parents de Ginevra, silencieux et immobiles, sont assis dans leur salon. Elisa hasarde, pour la seconde fois depuis trois ans, à exprimer son angoisse par rapport à leur fille. Bartholomeo, ému et repentant, s’écrie “Qu’elle vienne”! En ce moment, la porte s’ouvre et “un homme dont le visage n’avait plus rien d’humain surgit tout à coup devant eux”.

” Morte ! “- prononce-t-il en posant sur la table la longue chevelure noire de Ginevra, tout ce qui est resté d’elle.

Quelques mots de plus

Évidemment, aucune histoire ne se manifeste “in abrupto”. Dans “La Vendetta”, nous pouvons noter des facteurs externes et internes qui préoccupaient Balzac dans ce contexte . Par exemple, le triste sort de Ginevra doit beaucoup au destin funeste de la sœur de Balzac, Laurence, abandonnée comme elle après un mariage malheureux et décédée comme elle après la naissance de son enfant. On peut aussi établir un parallèle avec “La Nouvelle Héloïse” de Rousseau, où le père de la protagoniste refuse son amoureux Saint-Preux en raison de principes de classe… Des détails comme ceux-ci (il en va souvent ainsi chez tous les grands) sont d’autant remarquables qu’on ne peut jamais être sûrs de savoir si les auteurs les introduisent intentionnellement ou si c’est leur inconscient qui agit à leur place.
Balzac fait s’enchevêtrer les deux thématiques : celle du contexte historique dont on a vu qu’il correspond au début de l’époque bonapartiste et au début de la restauration de la royauté et le microcosme qui règne dans l’atelier de Servin, où sont répercutées les tensions de l’histoire politique de l’époque. Elles résonnent dans la structure familiale des Piombo ; dominé par les préjugés inhérents au code d’honneur corse un père qui aime passionnément sa fille devient un monstre impitoyable et cause involontairement sa mort…
Si on y réfléchit un peu plus , cette cruauté a-t-elle pour seule raison la fidélité au passé ou cache-t-elle autre chose ? Bartholomeo, un homme très passionné, se montre inébranlable même avant de découvrir l’origine de Louis : “Vous faites mal, vous, ma fille, d’aimer un autre homme que votre père…” et  “Je me flattais que ma Ginevra me serait fidèle jusqu’à ma mort”… Peut-être il utilise ses préjugés anciens pour justifier son affection égoïste ?

Quoique ce soit, son refus que Ginevra pouvait aimer un autre homme que lui annonce déjà que sa personnalité a quelque chose de meurtrière.

Nous sommes là au cœur de cette tragédie que Balzac nous a décrit par son génie littéraire.

Balzac lui-même n’a-t-il pas dit une fois :”Le génie a cela de beau qu’il ressemble à tout le monde et que personne ne lui ressemble.”?

Dans “La Vendetta”, cette assertion est reflétée par un éventail des insinuations et références, claires et nettes pour ses contemporains, que l’auteur ajoute à la fable principale et qui, en rendant le roman plus pertinent à leurs yeux, distingue Balzac et met en évidence son talent. Tout lecteur de ce roman aura eu le sentiment de vivre lui-même cette tragédie.

Maria Bogoiavlenskaia
Maria Bogoiavlenskaia

Linguiste, Université linguistique de Moscou (MSLU)
Domaine d'intérêts : l'Antiquité latine, le dialogue interculturel entre l'Occident et L'Orient

Publications: 2

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