En Russie, tout peut prendre des proportions insoupçonnées

À la mémoire de notre ami Youri Kovalski

Tout a commencé par quelques mots échangés rapidement avec un aviateur en uniforme lors d’un 14 juillet dans les jardins de l’Ambassade de France à Moscou en 2013, au sujet de son petit insigne rouge et or qu’il arborait pour les 70 ans de la fameuse Escadrille de chasse de la seconde guerre mondiale “Normandie-Niemen”.

Insigne Normandie-Niemen

Amateur d’histoire et d’aéronautique, j’avais bien sur déjà entendu parler de cette unité mythique de français libres envoyés des 4 coins du monde par le General de Gaulle dès 1942 pour combattre l’ennemi nazi commun aux côtés de l’Armée Rouge. Mais c’est grâce à cette très courte entrevue que le colonel Evain, attaché Air de la mission militaire française me présenta quelques temps après certains de ses amis français et russes passionnés par cette unité si particulière.

Venant d’être élu président de l’association des parents d’élèves du lycée français de Moscou, j’ai alors pu nouer des amitiés solides avec les dirigeants et enseignants de certaines des nombreuses écoles russes possédant un musée “Normandie-Niemen” et découvrir la véritable vénération que celles-ci témoignent au souvenir de l’épopée de ce groupe de chasse ayant réuni des pilotes français et des mécaniciens russes jusqu’en 1945 sur le front de l’Est.

Comment expliquer cet attachement indéfectible du peuple russe à l’unité la plus décorée de l’armée de l’air française qui malgré ses lourdes pertes a moins compté par la taille de ses modestes effectifs, que par l’empreinte très profonde qu’elle a laissé dans les cœurs et les mémoires des soviétiques ?
Est-ce parce qu’ils ont donné leurs vies pour libérer le sol de la patrie et la liberté du monde ?
Est-ce parce qu’ils ont prouvé au-delà des mots qu’ils faisaient passer la vie de leurs camarades mécanos soviétiques avant leur propre existence ?

Les trois campagnes de l’escadrille Normandie-Niémen


Toujours est-il que leur renommée forgée par l’héroïsme de ces pilotes pendant les années de lutte et de doutes a été renforcée par le retour du General de Gaulle en 1966, par la réalisation d’un film franco-russe célèbre, et enfin par la multiplication d’écoles soviétiques comportant un musée dédié a cette escadrille et mettant en avant l’apprentissage de la langue française.

Avec le temps et le dégel des relations est/ouest à l’issue de la guerre froide, les échanges ont pu prendre un nouvel envol et les vétérans sont souvent venus se retrouver en France comme en Russie. Depuis la disparition de l’Union Soviétique on aurait pu penser que le temps faisant son œuvre, cet engouement tendrait à s’amenuiser avec les disparitions progressives des derniers survivants.

Or si j’en crois ma modeste expérience de simple français installé depuis presque vingt ans en Russie, le “Normandie-Niemen” est toujours aussi populaire et vivant dans le cœur du peuple russe, tout comme l’immense empreinte sanglante laissée par le dernier conflit mondial dans sa mémoire collective.

Pour s’en convaincre il me suffit de me remémorer tous ces multiples visages de gens rencontrés depuis sept ans, vétérans français et russes (il ne reste que 3 mécaniciens soviétiques encore en vie, tous les pilotes et mécaniciens français libres nous ayant quitté), veuves, descendants directs ou petits enfants, enseignants russes de français et leurs incroyables élèves si touchants, écoliers français venus en Russie, historiens, écrivains ou simples admirateurs du Neuneu (surnom de l’escadrille).

Youri Medved de l’aeroclub NN de Kathionki et Charles de Saint-Phalle, fils du pilote Jacques de Saint-Phalle

Je ne peux même pas rapidement égrener ici la longue liste des évènements auxquels j’ai été amené a participer au gré des anniversaires des grandes dates de l’arrivée du NN sur le front Russe puis son retour en France à la libération avec ses avions yaks offerts par le Maréchal Staline en personne.

Conférences, spectacles scolaires, anniversaires de musées NN, défilés, commémorations, tournage de film documentaire dans nos deux pays, visites de délégations ou de familles, interviews, cérémonies au cimetière et au monument NN de Lefortovo, rencontres avec des élèves lors d’échanges scolaires, évènements grand public…

Présentation au restaurant Normandie-Niemen (2017)

Récemment lors d’une reconstitution historique sur les boulevards moscovites ou nous habitons, mon épouse Jeanne et moi-même avons noué connaissance avec un français habillé en grognard napoléonien qui participait à une évocation de l’arrivée des cosaques à Paris en 1814. Lorsque j’ai mentionné par hasard mon intérêt pour l’escadrille NN, il m’a immédiatement indiqué qu’il avait lui-même eu l’immense fierté de pouvoir défiler sur la Place Rouge le 9 mai 2010 avec le régiment NN alors qu’il faisait encore partie de l’armée de l’air.
Profitant d’un moment de relâche dans son programme j’ai pu l’emmener au cimetière de Lefortovo où se trouve le “carré Français” regroupant une fosse commune où furent ensevelis des soldats français morts lors du début de la retraite de Russie en 1812, ainsi que les tombes ayant été celles de pilotes du NN entre la guerre et le rapatriement en France d’une majorité d’entre eux quelques années plus tard.
Un pilote (Bruno de Faletans) y est toujours enterré aux côtés de son mécanicien soviétique (Serguei Astrakhov), sa famille n’ayant pas souhaité les séparer en rapatriant sa dépouille.

Gilles Lepissier au carré Francais du cimetiere de Védenskhoyé (Lefortovo )

Plus tard en France, j’ai eu l’occasion de rencontrer le Commandant Kuzniak qui dirigea ledit détachement du régiment NN venu défiler ce beau jour de 2010 à Moscou, et il me raconta l’intense émotion qui l’a étreint ainsi que tout son groupe lorsqu’ils virent tous les vétérans soviétiques présents dans la tribune officielle se lever à l’apparition du drapeau tricolore historique du régiment NN défilant devant eux parmi d’autres troupes alliées. Il faut signaler que l’escadrille Normandie fut la seule unité étrangère à combattre aux côtés des soldats soviétiques sur le sol Russe.
Ce sont des rencontres et évocations que l’on n’oublie pas. . .

Défilé du 9 mai 2010

Grâce à l’association Espace NN crée par François Colinot, passionné des échanges scolaires et linguistiques entre nos deux pays, et aux nombreuses visites de descendants des pilotes français, j’ai aussi pu découvrir des joyaux de la culture russe tels que le domaine de Léon Tolstoï à Toula, que visitèrent également les français libres du NN entre deux campagnes, dès sa réouverture après le reflux des troupes allemandes.
Enfin et alors que je n’avais pratiquement pas volé avant de venir vivre en Russie, nos amis de l’aéroclub NN de Kathionki créé par un homme d’affaires et pilote passionné, Grégory Greenchenko, me font l’amitié de me considérer comme un des leurs et n’ont de cesse de me faire voler à chacune de mes visites sur leur terrain qui fut utilisé par l’escadrille Normandie pendant l’été 1943 .

Aéroclub Kathionki (région de Kaluga )

En Octobre 2015 nos amis russes ont eu la gentillesse de bien vouloir offrir de brefs baptêmes de l’air à quelques élèves français du lycée Alexandre Dumas de Moscou ainsi que quelques-uns de leurs compagnons russes de l’école 1216 (devenue depuis groupe 1468).
Malgré la longue route et les aléas du trafic routier, les yeux de ces écoliers du même âge brillaient d’avoir pu toucher au plus près ce que ressentaient les pilotes soviétiques et français qui permirent à leur échelle de faire reculer les occupants pendant la bataille d’Orel.

Avions NG4 de l’aéroclub NN

De même en 2018 les jeunes russes et français montrèrent un enthousiasme similaire en accueillant au LFM et dans de nombreuses écoles russes, l’ex légionnaire Jonas Berteau venu seul en vélo depuis la France jusqu’à Moscou (5300 km à travers l’Europe) pour célébrer la mémoire et le panache des combattants français libres du NN.
À sa demande et à l’aide d’amis russes et français, nous avons pu organiser son accueil par une douzaine de médias et une soixantaine de journalistes, photographes, et opérateurs télé lors de son arrivée sur la Place Rouge.
Les correspondants de presse français brillèrent comme de coutume par leur absence devant un acte purement gratuit destiné à mettre en valeur l’amitié franco-russe et le sacrifice de nos anciens, et qui reçut un accueil chaleureux du public russe en général.

Jonas Berteau accueilli par la presse russe a son arrivée sur la Place Rouge en 2018

On le voit, que d’occasions de rencontres inoubliables et de joies sincères de partager et de faire vivre notre patrimoine historique commun m’ont été données par une simple et furtive entrevue, qui sembla initialement rester sans lendemain.
Je ne serai jamais assez reconnaissant pour toutes ces personnes qui ont bien voulu m’accueillir parmi elles pour contribuer et continuer de faire vivre la mémoire de l’esprit du “Normandie-Niemen” parmi nos deux peuples et plus spécialement envers les jeunes générations.

 

Pour en savoir plus :

Olivier Burlotte
Olivier Burlotte
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4 commentaires

  1. Bravo Olivier, pour ton engagement indéfectible et ta loyauté vis à vis de nos vétérans et de leur état d esprit : fraternité d armes, abnégation, courage. Loin des manipulations médiatiques et politiques, indignes des valeurs véhiculées par cette épopée.
    De part ton implication généreuse et désintéressée, tu fais partie des acteurs véritables de la transmission de cette mémoire qui démontre à chacun d entre nous, que le meilleur peut toujours rayonner dans les pires moments de l Histoire.
    Matthieu E

  2. Article très intéressant,et qui surtout reflète les véritables valeurs de l’amitié franco-russe, qui n’a jamais été aussi forte que lors de la présence du Normandie-Niémen en URSS, qui continue à ce jour et qui restera pour toujours.

  3. Bonjour , bravo pour votre article , j’ ai commencé depuis peu des recherches sur deux volontaires Du Normandie en 1943 , deux bretons dont un cousin ,avec beaucoup d’ humilité , mais avec la passion , je suis tombé sur un féru Du Normandie-Niemen comme toi Olivier,et avec un accueil incroyable ,je pense que Boulic et Cadiou méritent cela , leur engagement comme volontaire en dit long pour Moscou en ce mois d’ Aout 1943 , et longue vie à l’ entente Franco-Russe

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