Si vous êtes un lecteur expert, vous lisez ces mots sans effort. C’est même tellement automatique que si vous voyez un mot écrit, il vous est impossible de ne pas le lire.
Cette compétence, acquises au fil des années et parfois de haute lutte, est heureusement transférable pour d’autres langues : pas besoin de réapprendre tout le processus.
En nous intéressant à l’apprentissage de la lecture et à ses mécanismes généraux, nous allons mieux comprendre comment fonctionne la lecture en langue étrangère.
Le recyclage neuronal
En premier lieu, il est important de situer l’apparition du langage écrit et de la lecture dans notre histoire. Apparu il y a environ 6000 ans, c’est à dire tardivement, c’est un phénomène purement culturel. Dans notre “équipement” de base, aucune aire cérébrale n’est initialement spécialisée dans le traitement du langage écrit.
Selon Stanislas Dehaene (1), l’apprentissage de la lecture n’est donc possible que grâce à un recyclage neuronal au niveau d’une aire visuelle, à la jonction entre les lobes occipital et temporal, dans le cortex visuel.

À la base dédiée de la reconnaissance de visages ou de formes géométriques, elle se recyclerait dans la reconnaissance visuelle des mots écrits lors de l’apprentissage de la lecture.
Mais si nous sommes capables de reconnaître qu’une tasse reste la même tasse, quelque soit le sens où sa anse est tournée, la reconnaissance de certaines lettres, dites miroirs, pose des problèmes aux jeunes lecteurs.
C’est le cas du /p/ du /q/ du /b/ et du /d/, dont la position des éléments qui les constituent (la barre et la boucle), est déterminante si on veut pouvoir les identifier.
Deux voies d’accès au sens
Une fois passée l’étape de reconnaissance et de déchiffrage des lettres, il existe deux voies d’accès au sens des mots, la voie d’assemblage et la voie d’adressage.
La voie d’assemblage passe par la phonologie. On fait correspondre chaque lettre ou groupe de lettres à des sons qu’on assemble pour retrouver le sens du mot qu’on lit. C’est la voie utilisée pour les termes que l’on rencontre pour la première fois, comme des mots inconnus, rares ou techniques ou des noms de famille qui nous sont peu familiers. On peut alors s’observer lire syllabe par syllabe, à voix basse ou dans sa tête.
La voie d’adressage est aussi appelée lexicale et recourt à l’orthographe. Pas besoin de passer par l’opération de déchiffrage lettres→sons, car on est capable de reconnaitre directement l’image du mot et lui assigner un sens. Cette voie est donc beaucoup plus rapide, car elle court-circuite une étape.
C’est la voie qu’on utilise en tant que lecteur expert, quand on lit dans notre langue maternelle ou dans une langue qu’on connait bien.
Les psycholinguistes qualifient ces deux voies d’indépendantes car elles ne coopèrent pas. Il existerait même une compétition entre elles : la première qui permet l’accès au sens l’emporte.
La lecture en langue étrangère
À la lumière de ce qui précède, la lecture en langue étrangère comporte quelques spécificités :
– pour les langue distantes (écriture cyrillique, arabe, idéogrammes…), il faut passer par une étape de reconnaissance des caractères,
– on peut comprendre tous les mots qui ressemblent à ceux qu’on a appris dans les langues qu’on connait déjà, avec les pièges de leur associer un sens qui n’est peut-être pas le même (faux amis) et de ne pas les prononcer correctement.
Pour les grands débutants, nous recommandons de manipuler à l’oral les mots que l’on va ensuite lire. Avoir déjà accédé au sens des mots à travers leur forme sonore facilite et accélère le travail de déchiffrage sur le papier. Cela permet aussi de déjouer plus facilement les pièges de lecture que tendent les langues qui ne sont pas transparentes (comme le français), c’est-à-dire où l’on n’écrit pas toujours comme ça se prononce.

Comme en langue maternelle, l’objectif en langue étrangère est de se familiariser avec la lecture au point de pouvoir lire en recourant à la voie d’adressage, sans passer par le processus de déchiffrage.
1-Stanislas Dehaene, Les Neurones de la lecture, Editions Odile Jacob, 2007.