Si la finalité la plus courante dans l’apprentissage d’une langue étrangère est de pouvoir tenir une conversation, alors comprendre comment se construit cette aptitude peut s’avérer très profitable !
Cet article aborde l’acquisition de la langue orale en langue maternelle et étrangère, le rapport oral-écrit, les particularités de la langue française et avance quelques propositions pédagogiques.
Sur le plan de l’évolution
Chez l’homo sapiens, l’apparition du langage parlé précède de très loin l’invention de l’écriture, phénomène culturel tout récent au regard de notre histoire. Ces deux étapes se suivent de la même façon dans le développement langagier de chaque être humain.
En effet, il faut quelques années au petit d’homme pour acquérir les bases de la communication orale. Ce n’est qu’ensuite qu’en passant par la case école, il va compléter et parfaire cette acquisition en apprenant à lire et à écrire.


Chronologiquement, le langage est donc oral avant d’être écrit, et selon le célèbre linguiste Saussure (1), il existerait un lien de subordination entre les deux : « Langue et écriture sont deux systèmes de signes distincts ; l’unique raison d’être du second est de représenter le premier ». On retranscrit les sons de la première à l’aide de lettres, qui à leur tour constituent les mots qui forment les phrases.
Bien que les conditions et les mécanismes d’acquisition diffèrent dans l’apprentissage d’une langue étrangère, il est recommandé de respecter cet ordre naturel, en particulier en français. De plus, contrairement à l’italien ou au turc, la correspondance entre la prononciation des sons et leur retranscription sur papier ne va pas toujours de soi. Ils peuvent s’écrire de diverses façons et il arrive que des lettres ne se lisent pas et des règles s’appliquent même entre les mots.
Pour ne pas être induit en erreur par tous ces pièges qui guettent, mieux vaut au préalable s’approprier soigneusement les formes sonores.
Construction d’une « base de données vocales »
La classe de langue est comme une immersion artificielle dans un nouvel univers sonore. L’apprenant, à plus forte raison le débutant, devra focaliser toute son attention sur cette chaîne de sons inconnus s’il veut en extraire le sens.
Par le fait de reconnaître, puis de relayer lui-même des messages à l’oral, il se constitue progressivement une sorte de répertoire mental de formes vocales porteuses de sens. C’est cette base de données qui permet d’interagir avec des interlocuteurs lors de conversations.
Lorsque survient le moment de la lecture, la correspondance de ces formes focales aux formes écrites de la langue n’est pas toujours évidente, en particulier lorsque la langue qu’on étudie n’est pas “transparente”. Mais si l’on a suffisamment échangé à l’oral, le souvenir du « Ça se dit comme ça » permet de déjouer les pièges de l’écrit et augmente les chances d’une lecture réussie.
Comment développer son oreille ?
Quoi de plus fugace et instable que les sons ? Ils s’entendent mal, varient constamment selon les intonations des locuteurs et disparaissent systématiquement aussi vite qu’ils sont apparus.
Si la tentation de saisir son stylo pour les fixer sur papier ou se reporter aux sous-titres d’un film est justifiable, il est impératif d’y résister. En effet, c’est seulement en s’accrochant au peu de prises qu’ils offrent à notre oreille que l’on développe l’acuité indispensable pour pouvoir les comprendre sous cette forme évanescente.

En résumé, la compétence orale demeure un pré-requis crucial pour aborder avec sérénité les pratiques de lecture ou d’écriture, surtout chez les débutants.
L'écrit comme révélateur de l'oral
À moins d’avoir été exposé à plusieurs idiomes lors de notre petite enfance, l’influence dominante de notre première langue nous pousse naturellement à l’erreur en langue étrangère. Ce phénomène universel se manifeste quand en toute innocence, nous calquons mot à mot des expressions, utilisons des termes qui n’ont pas de correspondance ou tentons de reproduire des sons absents de notre répertoire linguistique natif.
Lorsque l’on écrit, notre discours intérieur se construit primordialement à partir de formulations du langage parlé, avant de se projeter sur papier. Certaines recherches (2) avancent que 80 % des fautes à l’écrit ne font que traduire un oral mal assimilé : sons mal retranscrits car mal entendus, ordre incorrect des mots dans la phrase, choix lexicaux inappropriés, tout cela souvent à cause de notre langue maternelle.
Voilà pourquoi il est possible de juger la qualité d’expression orale d’un locuteur à ce qu’il écrit, d’autant plus si on connait les caractéristiques de sa langue dominante.

La nécessité de pratiquer l'oral autant que possible
Lorsque qu’on apprend une langue étrangère dans un pays où elle n’est pas parlée, les opportunités de pratique en dehors de la classe sont rares, voire inexistantes. Et pourtant, seule son utilisation régulière et soutenue permet d’acquérir les automatismes nécessaires pour produire des phrases avec aisance, sans avoir besoin d’y réfléchir consciemment.
La maîtrise du parler, avec ses subtilités et ses implicites, offre une perspective de progression sans limites, proportionnelle au temps que l’on s’y consacre. Sur ce chemin, la supervision d’un professeur expert s’avère plus que jamais judicieux, autant pour rectifier les erreurs et les approximations, que pour mettre au courant des termes vraiment usités, par opposition à ceux qui n’existent que dans les livres.
La pratique de l’oral est potentiellement garante de progression, mais aussi de maintien de nos aptitudes à échanger, car une langue non usitée se dégrade, même lorsqu’il s’agit de notre langue maternelle.
1-Chapitre VI (Cours de linguistique générale – Saussure)
2-GERMAIN Claude, NETTEN Joan, « La précision et l’aisance en FLE/FL2 – définitions, types et implications pédagogiques », éd. M.L.M.S., 2004.