Les processus cognitifs de la lecture

Vous êtes certainement un lecteur expert et dévorez ces mots sans effort. C’est même tellement automatique que si vous voyez un mot écrit, il vous est impossible de ne pas le lire. 
Ces compétences, acquises souvent de haute lutte, sont heureusement transférables pour un texte écrit en langue étrangère, sans que vous ayez à réapprendre intégralement le processus de lecture.
La compréhension de certains processus cognitifs à l’oeuvre pendant la lecture vont nous permettent de comprendre sa place dans l’ANL (approche neurolinguistique), et pourquoi elle n’est jamais abordée avant l’oral (du moins pour des niveaux débutants).

Le recyclage neuronal

Tout d’abord, il est important de considérer l’apparition de la lecture dans notre histoire. Le langage écrit étant apparu ultérieurement, aucune aire cérébrale n’était initialement spécialisée dans le traitement du langage écrit. Il se serait donc ensuivit un recyclage neuronal au niveau d’une aire visuelle, à la jonction entre les lobes occipital et temporal, dans le cortex visuel (voir notamment Dehaene, 2007 ; Szwed et al., 2012). 

Cette aire, responsable à la base de la reconnaissance des visages ou des formes géométriques, se recyclerait lors de l’apprentissage de la lecture dans la reconnaissance visuelle des mots écrits.
Cependant, ce recyclage pourrait conduire à des erreurs de lecture: Si grâce à certaines fonctions des aires visuelles vous êtes capable de reconnaître qu’une tasse est une tasse, quelque soit le côté de sa anse, pour la lecture certaines lettres vont vous poser des problèmes.
Par exemple, les lettres miroirs, comme /p/ et /q/ ou /b/ et /d/, dont les “anses” sont tributaires de leur discrimination.

La double voie d’accès

Cette évolution de l’espèce (phylogénétique) trouve son parallèle dans le développement de l’individu (ontogénétique) puisque le développement du langage oral (production et compréhension) se produit AVANT celui du langage écrit. Ainsi toute représentation orthographique créée par la lecture entrainerait une médiation par la phonologie (voie indirecte), via la subvocalisation (c’est la voix qui parle dans notre tête).
Voir études de Corcoran (1967) sur les“e muets”, la lecture de mots isolés de Van Orden (1987), et les jugements de phrase (Coltheart, Avons 1991)

Cependant, les bons lecteurs quant à eux, n’auraient besoin que de la représentation orthographique (la voie directe) pour accéder au sens des mots. Ne serait-ce pas là le principe des techniques de Speed-reading qui demandent justement de couper la subvocalisation afin de lire plus vite? Cela supposerait un accès direct au sens des mots, sans détour depuis leur représentation orthographique.

D’après ce modèle, les voies sont qualifiées d’indépendantes, car elles ne coopèrent pas. Il existerait même une compétition entre elles : L’entrée visuelle est traitée par les deux voies en même temps, la première qui permet la représentation lexicale (l’accès au sens) l’emporte.

Nota bene:
Les considérations plus haut concernent la lecture en langue maternelle, et comportent ainsi des différences avec l’apprentissage d’une langue étrangère.

D’un point de vue didactique, en exposant d’abord des apprenants de langue étrangère à l’oral, puis en attendant d’eux une maîtrise quasi parfaite des formes lors de leurs production sans qu’ils aient eu la possibilité de voir les formes écrites, on procède comme dans l’apprentissage de la langue maternelle: on construit des représentations phonologiques avant les représentations orthographiques.
En outre, certaines études affirment que même dans sa propre langue maternelle, la voie phonologique serait plus sollicitée en cas de lecture de mots rares ou jamais rencontrés.

D’autre part, cette maitrise phonologique permettra de mieux aborder un des problèmes caractéristiques du français lors de la lecture: la transparence graphophonologique. 
On dit que le français (comme l’anglais, et à la différence de l’italien ou du roumain par exemple), n’est pas une langue transparente: il y a une différence entre ce qu’on entend a l’oral et ce que l’on lit.
Par exemple, quand on lit le mot doigt, on ne prononce pas le /g/ et le /t/ qui pourtant sont écrits.
Au niveau de la phrase, les phénomènes de liaison, enchainements et liens euphoniques (lettres ajoutées pour une plus grande fluidité) du français le rendent très opaque.
C’est pour cette raison qu’avoir été exposé d’abord aux formes orales inhibera la prononciation de lettres muettes qui ne se prononcent pas.

Perspectives

D’un autre côté, si comme certains chercheurs l’affirment, la transparence orthographique d’une langue joue un rôle direct sur le choix de la voie d’accès utilisée, on pourrait se demander à quel moment un étudiant de langue étrangère n’aura plus recours à la voie phonologique pour lire dans la langue étrangère (pour peu que cela se produise).

Une petite vidéo pour ceux qui veulent aller plus loin:

[fusion_youtube id=”https://www.youtube.com/watch?v=ptABRBcdI0c&t=406s” alignment=”center” width=”” height=”” autoplay=”false” api_params=”” hide_on_mobile=”small-visibility,medium-visibility,large-visibility” class=”” css_id=””][/fusion_youtube]

Clément Gabriel
Clément Gabriel

Professeur de français au Quartier francophone, chercheur indépendant dans le domaine de l'apprentissage/enseignement des langues étrangères

Articles: 84

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *